Rivoluzione costituzionale, moderazione concettuale. Ésprit de société, civilizzazione statuale e prudenza politica nell’opera di Gaetano Filangieri

Francesco Di Donato
2019-01-01

2019
978-2-84539-040-9
Ce long essai met en relief un aspect particulier et pas assez connu jusqu’à présent pour comprendre l’œuvre de Gaetano Filangieri et son importance pour le développement de la pensée constitutionnelle en Italie et en Europe : l’idée de fond de Filangieri est interprétée dans le cadre du processus de civilisation étatique, à savoir non seulement de la construction de l’État mais aussi des mentalités liées à l’esprit de société, à la diffusion de la confiance et à l’enracinement de la solidarité sociale. Le génie de Filangieri est surprenant : il écrit entre 20 et 35 ans et il meurt un mois avant son 35eme anniversaire, presque un an avant la prise de la Bastille. L’ouvrage de sa vie est la Science de la législation, en 7 volumes (une large partie du Ve et les deux restants demeureront inachevés) et dont les premiers deux tomes furent publiés en 1780. L’ouvrage, qui parut à plusieurs regards, et dès le début, un chef d’œuvre incroyable vu l’âge de l’auteur, n’est pas un pamphlet écrit à la manière des philosophes français, conçu pour frapper l’opinion publique et en secouer le sommeil. C’est un lourd et complexe traité dont le fond est juridique, qui a pour but essentiel de jeter les fondements d’une pensée constitutionnelle moderne destinée à réaliser la formation surtout – mais pas seulement – des élites intellectuelles et politiques, aux valeurs civiles marquées par l’esprit des institutions et la religion civile. Il faut tenir compte que Filangieri vivait et écrivait dans un contexte, celui du Royaume de Naples, où ces valeurs étaient à peu près absentes ou très rarement diffusées et les pratiques de gouvernement étaient dominées par les caprices d’une reine, Marie-Caroline de Habsbourg-Lorraine, fille de Marie-Thérèse d’Autriche et de l’empereur François Ie , et donc sœur de la reine de France Marie-Antoinette. En 1768 Marie-Caroline avait épousé le jeune roi Ferdinand de Bourbon. Ce dernier était le fils aîné de don Carlos d’Espagne, d’abord souverain de Naples en 1734, puis en 1759 roi d’Espagne sous le nom de Charles III, et de Marie-Amélie princesse de Saxe. La nouvelle reine s’était installée à Naples et y avait inauguré un gouvernement personnel dans la paresseuse et hébétée inaction de son mari et avec la complicité de certains personnages, ignorants et escrocs. En particulier le britannique (mais né à Besançon) Lord John Francis Edward Acton, le bolonais Giuseppe Beccadelli marquis de Sambuca. Très intelligent et cultivé, au contraire, mais non moins sinistre et intriguant, toujours insolent et sardonique, était le fameux abbé Ferdinando Galiani, qui alla devenir le plus intime confident et conseiller de la reine. Une fois limogé en 1776 le grand homme d’État Bernardo Tanucci, un toscan au caractère misanthrope et génial, venu à Naples dès 1734 – à la suite de don Carlos – et pendant plusieurs années très sage ministre et régent durant la minorité de Ferdinand, la reine avait pris le pouvoir directement et avait inauguré une méthode de gouvernement personnel qui, sous les apparences d’une modernité éclairée et en même temps débridée et désinvolte, avait en fait détruit tout sens de moralité et de bon gouvernement. Bref, la cour était devenue une forêt d’intrigues immondes, au point de susciter des graves alarmes dans les autres cours européennes y compris –c’est tout dire– l’autrichienne. Tanucci était bien connu comme un grand ministres réformateur ; il avait, entres autres, réalisé une sorte de réforme Maupeou napolitaine avec le fameux Dispaccio du 23 septembre 1774 qui imposait aux juges de motiver leurs arrêts et métait en place le référé législatif. Le très jeune Filangieri s’empressa de publier la même année, pour appuyer cette réforme, un efficace pamphlet intitulé Réflexions politiques sur la dernière loi du souverain qui concerne la réforme de l’administration de la justice. Il y manifesta toute sa haine pour la médiation patriarcale des magistrats et pour les arcana juris des vieux jurisconsultes, et au contraire son soutien à un souverain fort qui sache exercer le pouvoir avec sagesse, en décidant librement par sa volonté politique et en empêchant les magistrat de s’immiscer dans les affaires d’État. Mais, le climat politique qui avait changé avec l’avènement de la reine Marie-Caroline et son despotisme effréné, le poussa à renier cet écrit, car sa position, exprimée quand le pouvoir souverain était exercé par Tanucci, pouvait désormais être mal comprise et être considérée comme un soutien à la nouvelle politique néfaste de la cour dominée par Marie-Caroline. La Science de la législation fut pensée et conçue en réaction à cette nouvelle orientation de la politique de la cour. Filangieri voulait y développer la théorie de la civilisation étatique qu’il concevait comme un effet d’un ordre législatif constitutionnel fondé sur les valeurs de l’éducation civile. Cette méthode lui sera plus tard reprochée âprement par Benjamin Constant qui connaissait mal la situation socio-politique du Royaume de Naples et qui n’avait aucun point de repère et de comparaison pour bien situer l’ouvrage de Filangieri. Malgré sa prudence pour en édulcorer le radicalisme, le modèle théorique auquel Filangieri s’inspira fut évidemment Jean-Jacques Rousseau. La théorie du genevois était à l’évidence trop violente pour qu’elle puisse être publiquement et ouvertement défendue dans un contexte comme celui du Royaume de Naples et plus en général dans tous les territoires italiens. Ainsi Filangieri choisit la voie de la modération conceptuelle pour faire passer dans son contexte un message qui avait un caractère révolutionnaire. Il faut lire ainsi La Scienza della legislazione si on ne veut pas tomber dans le piège dans lequel allait se retrouver Constant. Malgré les mille prudences et la ruse très fine de l’auteur, l’ouvrage eut immédiatement après sa publication – outre l’approbation des frères Verri et de Beccaria – les âpres critiques de tout le monde ecclésiastique conservateur destinées à devenir, en bref, une véritable persécution. Filangieri manifesta ses inquiétudes dans sa correspondance privée. Par exemple avec le poète Francesco Zacchiroli qui lui écrivit : « Je ne m’étonne point que vous soyez poursuivi. J’aurais été étonné du contraire. Tel a toujours été le destin des génies supérieurs. [...] Vous, né avec un esprit heureux et hardi, vous avez fait votre métier, en vous devenant le législateur de l’humanité ». Et pourtant, comme écrivit plus tard, après la mort de Filangieri, son disciple Donato Tommasi, le jeune prince avait la conviction absolue de ne pas avoir, avec son ouvrage, combattu en quoi que ce soit la doctrine chrétienne, mais au contraire de l’avoir préservée du fanatisme et du dogmatisme. Mais le Saint-Office ne fut point de cette opinion et le 6 décembre 1784 la Science de la Législation fut insérée dans l’Index des livres prohibés. Ensuite le frère augustinien Domenico Nicola eut la charge d’examiner l’ouvrage. Il en concluait qu’« il [Filangieri] renverse d’abord jusqu’aux fondements la souveraine et légitime puissance, il condamne les pratiques les plus respectables de la Religion Chrétienne et se moque d’elles. Il déclame furieusement contre le Sacerdoce, et accuse de la plus grave corruption les Ministres du Sanctuaire ; et ayant ainsi commencé, notre Philosophe […] avance progressivement dans les erreurs les plus capitales contre la vérité de la Religion révélée ». En réalité le véritable but de Filangieri était un « engagement empirique pour le bien de l’humanité », selon les mots précis de Domenico Cavallari, le prêtre et doctor in utroque iure qui avait la charge de réviseur des ouvrages du royaume et qui avait donné, le 26 juin 1780, l’imprimatur à la Science de la Législation. Contrairement aux censeurs qui le suivirent, Cavallari avait saisi un point extrêmement important dans l’œuvre de Filangieri : la nécessité de mettre au centre de la foi chrétienne la solidarité sociale. De ce point de vue on peut voire très clairement l’influence sur Filangieri du dernier Genovesi (notamment dans les derniers deux ou trois années de sa vie : il mourut en 1769). L’abbé de Salerne, qui avait enseigné dans la première chère d’économie politique en Europe, avait en effet développé dans son magistère et notamment dans son œuvre La diceosina ou la Philosophie du juste et de l’honnête, mais aussi dans des écrits moins connus et aussi importants comme les Considérations sur les fondements de la société civile ou sur les lois des corps politiques, une ligne théorique en faveur des aspects solidaristes de la religion chrétienne. Très hostile aux dogmatismes de l’aristotélisme et décidément anti-métaphysique, Genovesi prônait à une vision empirique et réaliste de la société et de l’économie. Genovesi avait influencé des dizaine de jeunes intellectuels destinés à un très grand succès tel que le samnite Giuseppe Maria Galanti, ou le pouillais Giuseppe Palmieri ou l’abruzzain Melchiorre Delfico. Parmi eux il y avait aussi l’avocat Giacinto Dragonetti, lui aussi abruzzain de l’Aquila, qui composa et publia, anonyme, en 1766 un petit traité que Genovesi lui même lui conseilla d’intituler Des vertus et des récompenses pour faire pendant avec le plus célèbre Des délits et des peines de Beccaria paru en 1764 (que Dragonetti ne connaissait pas). Ce petit mais très puissant écrit produit une très profonde influence sur Filangieri et on en voit l’effet dans les pages de la Scienza. La critique de Dragonetti assimilée dans l’œuvre de Filangieri se portait contre la Scientia juris et les sacerdotes (les jurisconsultes-magistrats) qui la gouvernaient. C’était leur mentalité dont ils voyaient qu’elle était à l’origine des maux dont souffrait la société napolitaine et italienne. La paralysie de la justice et le terrible dysfonctionnement des institutions judiciaires étaient l’effet direct de l’ontologisme formaliste dont la forma mentis des legum doctores était imprégnée. Cela était le résultat de la formation que les juristes recevaient dans les « collèges des docteurs », les studia où on enseignait des techniques d’exégèse et de manipulation du droit dirigées, non vers le service de l’État, mais vers la puissance corporative de l’ordre judiciaire. L’intuition géniale de Dragonetti, suivie et développée par Filangieri, consistait dans la liaison entre cette forma mentis des juristes et le délabrement complet que l’on constatait dans les comportements a-sociaux. Ces comportements formaient la base parfaite pour la diffusion à large échelle de l’individualisme micro-féodal devenu non seulement une modalité de l’ordre foncier et propriétaire, mais une véritable catégorie de l’esprit qui avait pollué en profondeur la psychologie collective. C’est justement pour surmonter cette cause primaire et remédier à ces effets que Filangieri imagine son « constitutionnalisme pédagogique » capable d’ériger – à travers le savant usage, dans le peuple, de ce qu’il appelle les « passions conductrices » – des structures juridico-culturelles à même de reconstruire le tissu social, et ainsi de refonder ab imis fundamentis la réalité politique napolitaine et italienne.
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